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La patrie ou la mort, Sankara vaincra…(Cheikh Tidiane Gadio)

Si Nkrumah, Sékou Touré, Lumumba, Cabral, Cheikh Anta Diop ont été incompris, isolés, parfois assassinés ou poussés à faire des catastrophes, c’est que les progressistes africains ont hésité à leur apporter leur soutien. Sankara n’a pas failli à la règle.

Avec le crime crapuleux commis sur la personne de Thomas Sankara, ce n’est pas seulement notre droit à l’espérance qu’on a voulu assassiner, mais c’est aussi et peut-être surtout notre droit au rêvequ’on a voulu anéantir (comme disait Sankara) aujourd’hui, demain et pour toujours. Notre peine est immense. Et elle est à la mesure du rêve gigantesque auquel n’a cessé de nous convier cet homme tout entier fait de sincérité, de dévouement et d’intégrité.

Faire du Burkina Faso, dont le poids économique et géopolitique est plutôt insignifiant, un pays respecté, fascinant et attrayant, ou comme le disait un confrère « inscrire simplement le nom de ce pays sahélien sur  la carte du monde », constituent sûrement et déjà un grand mérite pour Sankara.

II peut être tentant de se lancer dans une énumération des acquis de la révolution intelligente et non dogmatique qui était en cours au Burkina, mais l’heure n’est pas au pointage des acquis et revers et aux comptes d’épicier. Convaincu de la chaîne de solidarité de tous les processus révolutionnaires de par le monde, le véritable bilan de la révolution burkinabé sera, selon nous, l’œuvre d’une autre révolution au Burkina ou ailleurs. L’enjeu principal de la phase en cours, c’est la dénonciation conséquente et intransigeante de la farce tragique que les bourreaux du fameux Front Populaire déroulent sous nos yeux.

A la recherche de l’espoir perdu 

Au plan personnel, nous avions commencé par nous méfier d’abord de Sankara et de ses camarades. Leurs discours si justes et leurs appels si  généreux, en ces temps de crise sévère du marxisme et de désarroi idéologique, nous semblaient trop élaborés pour être sincères. Nous exercions alors notre droit légitime à la suspicion par rapport au marxisme-léninisme kaki, par rapport aux marchands d’illusions qui, à la faveur d’un coup d’État, s’érigeaient en messies sauveurs des peuples  d’Afrique, traumatisés par la longue nuit coloniale et néocoloniale.

Le sort du marxisme en Chine, au Vietnam, au Cambodge, au Bénin et au Congo, avait fini de nous faire accepter la descente aux enfers et l’assumation pleine et entière de la crise des perspectives, mais jamais la renonciation à l’idéal révolutionnaire de progrès et de justice.  Ainsi donc méfiance et retenue étaient notre ligne de conduite. Mais seule la vérité étant révolutionnaire et seule la pratique étant critère de vérité, notre résistance a fini par s’étioler laissant progressivement la place à l’enthousiasme et à l’intime conviction que Sankara et son équipe avaient une qualité majeure, la sincérité.

C’est ainsi que nous avons pu dire à un ami qui, lui, préférait rester sur ses positions, que le drame des révolutionnaires et progressistes africains consiste à préétablir le schéma du modèle révolutionnaire idéal et à vouloir y conformer toute expérience en cours. Et que, pour parler radicalement, l’impérialisme c’est nous : car si NKrumah, Lumumba, Cabral et même Sékou Touré et  Cheikh Anta Diop ont été incompris, isolés, parfois froidement assassinés ou poussés à commettre des catastrophes, le soutien hésitant et trop exigeant des progressistes africains y était pour quelque chose.

Ce jeune, en l’occurrence Thomas Sankara, qui est la somme de nous tous, avec nos discours enflammés, généreux, parfois naïfs, et qui a un « plus » décisif (les rênes du pouvoir), essaye de faire bouger des choses; et au lieu de l’épauler sans toutefois renoncer à notre devoir de critiques, nous préférons passer notre temps – en gardiens du temple auto-désignés – à lui exiger des comptes et des explications. Face à la réalité dramatique du pouvoir, les critiques de salon sont d’un confort incomparable !

Or donc, Sankara nous a convaincu. La touche personnelle et la séduction du romantique et de l’homme intègre ont fait le reste: c’est-à-dire que par-delà son idéal, on s’est mis à aimer l’homme. Car le style Sankara est une gifle pour tous ces présidents-chefs de villages : tyranneaux à la main gantée, pères de nations misérables, hommes providentiels envoyés par le ciel, dirigeants à vie, ivres de pouvoir et d’autorité, petits sergents devenus maréchaux,  infaillibles, rustres, peu raffinés, collectionneurs infatigables de voitures de luxe et de maîtresses, meilleurs clients des fameuses banques suisses, et dont la bonne santé physique et matérielle est inversement proportionnelle à la misère morale et matérielle de leur peuple famélique au nom de qui pourtant, ils vont partout faire la manche, une larme hypocrite au coin d’un œil, l’autre lorgnant le montant du chèque que le bienfaiteur du moment est en train de remplir avec délectation.

Pour l’instant, le  Burkina redevient une province quelconque de la lutte des classes planétaires retrouvant un anonymat provisoire bien partagé de nos jours. « La patrie ou la mort, Sankara vaincra », puisqu’il a déjà survécu au mensonge et à la calomnie et qu’il repose sereinement désormais au Panthéon des Martyrs de l’Afrique martyre.

                                                                     CHEIKH TIDIANE GADIO

              Professeur de Télévision à l’École de journalisme de Dakar (Cesti)

                                                          Ancien ministre des Affaires étrangères

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