La mort fait peur. Les pleurs des femmes, les cris de douleur des enfants et les larmes incontrôlées sur les visages d’hommes peu endurcis participent à la psychose que crée la mort d’un parent, d’un proche et même d’une personne inconnue. Il y a ce vide que rien ne peut remplir à la disparition d’une personne.
On ne verra plus son visage, sa façon de marcher, ses mimiques attachantes. On entendra plus sa voix saccadée, ses rodomontades désagréables, ses sages conseils. On ne sentira plus son encens dans ses habits froufroutants.
Son silence éternel sera paradoxalement moins audible que ses silences intermittents de son vivant. Intrigants, ils éveillaient une attention particulièrement intéressée sur leurs sens. La mort n’est pas la fin de l’individu, de la personne. Pour nous qui croyons en l’existence d’une âme et d’un corps, la mort n’est qu’un nouvel état, la fin du corps et la libération de l’âme.
Le corps est l’affaire des humains qui s’en chargent pour qu’il ne nuise pas à leur existence qui ne s’arrête pas à la mort d’un des leurs. L’âme rejoint le royaume des cieux. La physique nous a appris à détecter les particules élémentaires qui se cachent dans certaines interactions.
Ce sont notre cosmogonie et nos religions révélées qui nous formulent le postulat que notre être est constitué d’un corps et d’une âme.
Aucune science ne s’intéresse à cette question primordiale.
Quelle expérience faudra-t-il inventer pour mettre en évidence ce caractère dual de l’être humain ?
Comme les particules qui sont onde et corpuscule, sommes-nous réellement âme et matière?
Comment cette interaction opère-t-elle?
Michelson et Morley ont prouvé le caractère constant de la vitesse de la lumière dans toute les directions.
Pourra-t-on un jour prouver par l’expérience qu’un être humain est constitué d’une âme et d’un corps?
Ou que tout simplement la possibilité de cette expérience est indécidable comme l’est l’axiome du choix ! Donc hors de la portée des êtres humains.
Dans tous les cas, contrairement à ce que tout le monde dit, nous ne sommes pas égaux devant la mort.
Certaines personnes meurent sans douleur dans leur sommeil, tandis que d’autres meurent en un éclair sans avoir eu le temps de souffrir.
Beaucoup de personnes traînent des maladies désagréables, douloureuses, incapacitantes pendant très longtemps avant de succomber atrocement.
Les personnes des pays ayant une bonne médecine et beaucoup de personnes riches ont la chance de bénéficier de soins palliatifs qui réduisent la douleur à sa plus simple expression, elles meurent sans souffrir.
Malheureusement, dans nos pays, trop de personnes sans beaucoup de moyens meurent encore dans des douleurs atroces faute de moyens de prise en charge dans les derniers instants de la vie.
Mourir n’est pas la fin de la vie, c’est un autre moment de la vie, la vie des âmes libérés des corps.
Nos religions traditionnelles comme nos religions révélées mettent l’accent sur l’impact de nos actes sur terre sur l’état de bonheur ou de punition de nos âmes.
L’Islam et le Christianisme nous rappellent nos responsabilités de notre vivant qui conduisent nos âmes au Paradis ou à l’Enfer.
Pourtant, contrairement à la terreur que veulent instaurer certains prédicateurs, tout n’est pas linéaire, automatique.
Car Dieu est non seulement miséricordieux mais il a un pouvoir discrétionnaire dont Il est le seul maître.
Qui peut prédire qu’un être humain ira au Paradis ou bien en Enfer? Seul Dieu sait ! Yalla rek a xam !
C’est cette compréhension positive et non punitive de la religion que nous ont laissée nos ancêtres.
C’est pourquoi nous étions toujours heureux, souriants.
Nous rions facilement, sans retenue.
Nous étions drôles, nous avions de l’humour.
Même Dieu que nous vénérions profondément n’échappait pas à notre humour.
Certaines personnes, aujourd’hui, auraient caractérisé certains propos innocents prononcés il y a quelques décennies de blasphématoires.
Notre époque s’est assombrie, s’est raidie.
Elle est devenue chaque jour plus intolérante, moins compréhensive, moins ouverte, plus étrangère à ce que nous étions.
Nous sommes de plus en plus tristes, renfrognés, moins désireux de bonheur intérieur.
Les mathématiques conjuguées à l’astronomie nous font découvrir de nouvelles planètes, de nouveaux objets stellaires de plus en plus complexes, de plus en plus menaçants comme ces immenses trous noirs qui pourraient avaler notre galaxie que le télescope James Webb a découverts.
Nous discutons de l’origine de l’univers. Les observations astronomiques semblent de plus en plus remettre en cause le Big Bang et mettre en lumière la possibilité de l’existence de plusieurs univers. Pourtant, sur nous mêmes, sur notre être, nous sommes complètement désarmés, totalement ignorants.
Nous avons peur de rire par peur qu’on nous dise que nous ne pensons pas à notre vie de l’Au-delà.
Dès lors que la mort fait partie de notre vie, elle ne doit plus nous terroriser.
Elle ne doit plus nous rendre malheureux et triste.
Nous sommes des croyants, musulmans, chrétiens, adeptes des religions traditionnelles. Rendons heureuse notre vie sur terre pour préparer la Vie éternelle de nos âmes.
Je prie Dieu de vivre encore longtemps, d’avoir une mort douce et digne.
Je souhaite, à ma mort, être enterré au cimetière de Dakar Bango, à côté de ma mère, de mon oncle et de ma sœur avec qui je jouais en montant sur le badamier au centre de notre concession cueillir des gerté tubaab et en courant sur les deux bords dangereux de la rigole dont mes jambes portent encore les stigmates.
Je veux juste une petite plaque sur laquelle sera inscrite : Ici gît Mary Teuw Niane.
Je ne veux pas de prières de troisième jour, de huitième jour, de quarantième jour et encore moins de célébration de l’anniversaire de ma mort.
De temps en temps, lorsque certains d’entre vous penseront à moi, veuillez prier intérieurement pour moi !
J’espère que mes meilleurs legs seront les quelques théorèmes que j’ai énoncés et démontrés, les doctorants que j’ai formés et les étudiants qui auront reçu leur formation dans les filières ou les institutions d’enseignement supérieur que j’ai créées.
Je vous souhaite une vie longue, heureuse, une mort douce et dans la dignité.
Yal na nu Yalla may wer, fan yu gudd, dunnda gu neex, dèe gu sedd and ak sutura.
Yo Geno okku en cellal, juutde bal?e, ngurndam mbel?am, maayde ?uubnde wondu ndu e sutura.
Dakar, mardi 12 décembre 2023
Prof Mary Teuw Niane