« Bassirou Diomaye Faye avait deux ans quand Paul Biya est devenu président ». Au Cameroun, le slogan fait un tabac sur les réseaux sociaux, illustré parfois par le visage presque juvénile du nouveau chef de l’Etat sénégalais et celui de son homologue camerounais âgé de 91 ans.
M. Faye a été élu le 24 mars, à 44 ans, deux semaines après être sorti de prison. Il a nommé mercredi Premier ministre son mentor Ousmane Sonko, principal opposant au régime du sortant Macky Sall.
M. Biya, lui, est à la tête du Cameroun depuis plus de 41 ans, et fait réprimer violemment ou emprisonner nombre d’opposants. Derrière son voisin Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, 81 ans, qui dirige d’une main de fer la Guinée équatoriale depuis plus de 44 ans, il détient la médaille d’argent de la longévité au pouvoir pour un chef d’Etat vivant, hors monarchies.
Faye et Sonko font donc rêver les oppositions et la jeunesse en Afrique, mais le maintien au pouvoir d’autocrates vieillissants, auxquels succèdent parfois leurs héritiers, peut facilement ébranler les espoirs nés du côté de Dakar.
En Afrique, la moitié de la population avait moins de 18,6 ans selon l’ONU en 2021. La même année, la moyenne d’âge de ses chefs d’Etat était de 66 ans, selon des statistiques du magazine français Jeune Afrique.
Alors que télévisions et radios d’Etat camerounais relaient parcimonieusement la victoire de M. Faye, des débats très populaires dans les médias indépendants ont tôt fait la comparaison.
« Le Sénégal parle aux petites mains de la dictature (…), à ces zélés prétentieux (…) qui matent les opposants (…), ces juges qui infligent des condamnations arbitraires. Mais la roue tourne », prévient l’éditorialiste Aristide Mono dans une de ces joutes sur Equinoxe Radio.
-« Sacrifices »-
« Ce ne sont pas les armes qui ont chassé Macky Sall (…), ce sont les armes politiques bien affûtées d’acteurs politiques aguerris, déterminés et prêts aux sacrifices (…) qui ont suscité l’adhésion et la mobilisation du peuple », s’enthousiasme Denis Emilien Atangana, président quadragénaire du Front des démocrates camerounais (FDC), dans un forum de discussion WhatsApp.
Au Tchad, le président de transition Mahamat Idriss Déby Itno a félicité « le peuple sénégalais pour avoir donné une belle leçon de maturité et de démocratie au reste du monde ». Or, ce général avait été proclamé par l’armée, à 37 ans, chef de l’Etat à la tête d’une junte de 15 généraux en 2021, à la mort de son père Idriss Déby Itno lequel régnait d’une main de fer sur le Tchad depuis 30 ans.
Après une transition de 18 mois prolongée de deux ans, il est quasi-assuré de remporter la présidentielle du 6 mai, après que son régime a violemment réprimé et muselé toute opposition dans la rue et éliminé toute concurrence avant le scrutin.
Son principal adversaire, Yaya Dillo, a été tué fin février par des militaires dans l’assaut de son parti, d’une « balle dans la tête à bout portant » selon l’opposition, puis les candidatures d’autres potentiels rivaux ont été invalidées.
« Diomaye et Sonko seraient tchadiens, il y a bien longtemps qu’ils seraient morts », assène l’opposant Avocksouma Djona Atchénémou à l’AFP.
« Dictatures »
La victoire de M. Faye « inspire et fait rêver mais c’est arrivé au prix de grands sacrifices (…) car la lutte politique en Afrique francophone nécessite endurance et cohérence, seules armes pour vaincre l’armure des dictatures appuyées par les ex-puissances coloniales », tempère pour l’AFP Max Kemkoye, l’une des principales figures de l’opposition tchadienne.
« Félicitations aux Nelson Mandela du Sénégal! Ils ont quitté la prison pour gagner directement l’élection », s’émerveille un internaute tchadien sur Facebook. « Bassirou Faye n’aurait jamais eu sa chance au Bénin », estime Nourou Dine Saka Saley du parti Les Démocrates, dans une vidéo sur Tik Tok. « Tout le monde rêve de réaliser le même exploit dans nos pays », ajoute cet opposant à Patrice Talon, président béninois depuis près de huit ans et accusé d’un virage autoritaire à 65 ans.
Au Togo, Faure Gnassingbé vient de renvoyer devant les députés, sous pression de l’opposition et de la société civile, une nouvelle Constitution qui lui permettait, selon ses détracteurs, de se maintenir au pouvoir. « Je suis certaine que le peuple togolais sera libéré un jour comme au Sénégal, mais nous devons nous battre », lâche Akouwa Avligan, une trentenaire pharmacienne à Lomé.
La victoire de M. Faye démontre « que l’Afrique a besoin de ses jeunes générations de leaders, pas la génération des Museveni, des despotes fatigués », s’enflamme auprès de l’AFP Bobi Wine, 42 ans, l’un des plus virulents opposants à Yoweri Museveni, 79 ans, qui dirige l’Ouganda depuis plus de 38 ans et dont l’un des fils est pressenti pour lui succéder.
AFP